jeudi 30 septembre 2010

Chapitre I : Wake Up Call (Le Réveil)


CHAPITRE I
Wake Up Call

***


Prologue

[1/ Into The Wild Soundtrack - Free Satellite and Hunting ]

C’est quand l’on commence à définir quelque chose, que cela commence à prendre tout son sens. Le bruit régulier du métro, le son des gens qui le traverse, le martèlement de leurs pas sur le sol, les journaux qui s’envolent …

Toutes ces sonorités sont stimulantes pour moi. Je m’en nourri chaque jour. Elles m’inspirent d’une certaine façon. La chose la plus fascinante ici, c’est cette capacité de pouvoir disparaître juste en restant immobile pendant plusieurs heures. J’ai fini par faire partie du décor, leur décor quotidien. Ils m’entendent sans me voir. Ça ne me dérange pas. Moi je les vois, je les observe même.

Je ne me souviens pas exactement du jour où j’ai commencé à venir ici. Je me souviens seulement de cette répétition infinie de jours similaires, tous aussi ennuyeux les uns que les autres. J’avais les cours, puis ce boulot que je n’aimais pas réellement, ensuite je rentrais chez moi en empruntant ce même couloir, pour recommencer le même schéma le lendemain matin.

Je fais partie de ces personnes que la routine aurait fini par tuer. J’ai cherché une solution, un exutoire.

J’ai grandi dans une petite ville du comté de Clallam, située dans la péninsule d’Olympic, dans l'État de Washington. Forks ne compte pas plus de 3000 habitants et pourtant il est très difficile de s’y faire une place. C'est une de ces villes desquelles il faut s’enfuir pour avoir un avenir.

J’ai des parents aimants et équilibrés, un frère aîné et une sœur jumelle qui sont bien établis dans la vie. En résumé, je fais partie d’une famille saine et à l’abri du besoin. Mon père est médecin. Ma mère n’a jamais eu besoin de travailler grâce à ça et ne s’en plaint pas.

Mon frère Emmett est marié depuis 4 ans à Rosalie Hales, ils se sont rencontrés au lycée et ne se sont plus quittés depuis. Ils vivent dans une petite maison qu'ils viennent d'acheter dans les beaux quartiers de Seattle. Je les vois très souvent.

Ma sœur, Alice, a fait carrière dans le mannequinat, elle voyage beaucoup et fait la fierté de mes parents, Esmé et Carlisle Cullen. Elle vient tout juste de débuter mais les spécialistes disent qu'elle est la prochaine Kate Moss. Moi j'y connais pas grand chose, mais je suppose que c'est plutôt bien. Pour moi, elle reste avant tout ma petite sœur. Elle je la vois trop peu en revanche.

Quant à moi, j’ai quitté la maison familiale après le lycée pour étudier à l’université de Seattle. Un choix purement géographique, assez éloignée pour avoir mon indépendance et assez proche pour rester en contact avec mes racines. Ce n’est pas une université très renommée mais c’est un choix acceptable.

Plus jeune je voulais être musicien ou écrivain, à l’heure actuelle je ne suis ni l’un ni l’autre. Je ne suis qu’un simple étudiant de deuxième année de littérature. Je reste proche de ma famille même si j’ai toujours l’impression d’être différent d’eux, moins ambitieux peut-être, ou pas aussi épanoui. Comme s’il m’avait toujours manqué quelque chose, sans pour autant savoir précisément de quoi il s’agissait.

Mon frère et ma sœur ont déjà assurés leur avenir alors que moi, je cherche encore à construire le mien, sans vraiment savoir de quoi il sera fait, de quoi je veux qu’il soit fait.

J’y réfléchis tous les jours en venant ici avec ma guitare, pour jouer devant ces inconnus. Rares sont ceux qui s’arrêtent pour m’écouter mais ça n’a pas vraiment d’importance. Je joue d’abord pour moi-même, pour me ressourcer. J’aime l'acoustique du métro. Je reconnais certains visages cependant.

Chaque jour, vers 18h30, il y a cette fille. Une petite brune. Elle sort de la ligne ouest et s’arrête derrière ce pilier pour m’écouter quelques minutes. Elle s’y adosse toujours et lève les yeux au ciel comme si elle était épuisée ou qu'elle portait le poids du monde sur ses épaules. Jamais elle ne s’approche de plus près, jamais je n’ai croisé son regard, mais je sais qu’elle est attentive à ma musique.

Vous vous demandez sûrement pourquoi moi je l’ai remarqué. Il se trouve qu’en plus du métro, elle fréquente régulièrement le même coffee shop que moi, ce qui n’est pas étonnant car la plupart des étudiants de l’université se retrouvent ici. C’est le plus fréquenté du campus.

Je suis sûre qu’elle ne s’en est jamais rendu compte. Généralement elle y vient avec des amis, sûrement pour passer le temps entre deux cours. Cette fille a l’air d’être appréciée des autres, elle sourit, elle parle avec eux, mais en l’observant, je peux sentir la retenue dont elle fait preuve. Comme si elle portait en permanence un masque qui empêchait le monde extérieur de la voir réellement.

Je m’assoie toujours à la même table, au fond de la salle pour m’isoler un peu des autres clients. J’aime venir ici pour écrire. Je n’ai pas la prétention de me définir comme un écrivain en herbe, j’ai simplement besoin de coucher sur le papier certaines pensées pour éviter de les oublier par la suite, ou peut-être pour vider mon esprit de mes obsessions les plus obscures.

Je me souviendrai toujours de cette journée…

Elle avait commencé comme toutes les autres. J’étais arrivé à la même heure et j’avais joué comme chaque jour. Ce jour là, la fille de la ligne ouest était arrivée en retard. Elle avait marché plus vite que d’habitude et avait trébuché en sortant de la rame, se rattrapant de justesse pour ne pas tomber. Avec l’afflux de personne qui s’était formé derrière elle, la jeune fille avait dû faire un détour et s’approcher de l’endroit où j’étais assis. La foule l’empêchait d’avancer et pour la première fois je l’avais réellement vue. Elle se débattait timidement pour reprendre le cours de sa journée. Elle tentait de passer entre les gens mais ils ne faisaient pas attention à elle. Tout comme moi, à cet instant elle était devenue invisible.

Elle se trouvait juste devant moi quand elle avait regardé sa montre, l’air découragée. Sûrement avait-elle raté sa prochaine correspondance. Le quai s’était vidé mais la jeune fille ne semblait plus aussi pressée de le quitter à présent. Moi je n’avais pas arrêté de jouer, je ne l’avais observé que du coin de l’œil et elle ne l’avait sûrement pas remarqué. Finalement, au bout de quelques minutes, elle m’avait adressé la parole. C’était la première fois depuis presque un an que quelqu'un m’adressait la parole sur ce quai.

- Excuse-moi. Est-ce que tu sais quand passe le prochain bus pour la citée scolaire ?

J’avais levé les yeux vers elle et en oubliai de jouer. Sa voix était douce mais très peu assurée, comme si elle était atteinte d’une timidité maladive. Pour la première fois je pouvais vraiment la voir. Elle avait les yeux chocolats les plus profonds qu’il m’avait été donné de voir. Je m’y étais noyé instantanément. Sa peau était pâle comme la neige ce qui faisait ressortir l’intensité des boucles brunes qui entouraient son visage fin.

- Dans une heure je pense. Ils font grève aujourd’hui. Avais-je simplement répondu.
- C'est ce que je craignais.

Elle avait longuement soupiré, regardant à droite puis à gauche comme si l’une de ces directions allait lui offrir une solution plus favorable.

- Je vais devoir continuer à pied, en avait-elle conclu, merci.
- De rien.

Ensuite, elle avait fouillé dans la poche de son manteau pour en sortir une pièce et me l’avait tendu.

- J’aime beaucoup ce que tu fais.
- C’est gentil mais je ne joue pas pour de l’argent. Lui avais-je poliment répondu.

Elle avait arrêté son geste, légèrement confuse, pour ensuite ranger sa pièce. Après un léger sourire, elle avait continué sa route, réajustant son blouson pour se préparer au froid qui régnait dehors. Je l’avais suivi du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse de mon champ de vision.

Je recommençais alors à pincer lentement les cordes de mon instrument quand un groupe de mecs assez bruyants, le genre qui se baladent toujours en meute, étaient passés devant moi pour emprunter le même chemin que la jeune fille un peu avant. Eux aussi je les avais suivis du regard. L’un d’eux tout particulièrement, il avait montré la jeune fille du doigt à ses amis qui s’étaient esclaffés.

Après leur départ, le calme était revenu autour de moi, mais bizarrement je n’avais plus continué à jouer. Une force invisible m’avait poussé à me lever à mon tour. Une sorte de pression indéfinissable au creux de mon ventre, comme si quelque chose de grave allait se produire. Je n’avais rien analysé. Sur le moment, c’était la chose à faire, tout simplement.

Je m’en souviendrai toujours. J’ai suivi cette fille…

Je ne sais pas trop à quoi je m’attendais …

***

CHAPITRE I
***



[2/ Los Angeles At Night – Michael Brook]

Quand je retrouvai la surface, un vent glacial me fouettait le visage mais j’avançais lentement sans m’en préoccuper cependant. Dehors plus de trace de la petite brune ou du groupe de garçons, pourtant je continuais à avancer. J’avais conscience que le chemin me ramenant chez moi était à l’opposé mais rien n’y faisait, quelque chose en moi me criait de continuer droit devant moi.

J’enfonçais les mains dans mes poches, les yeux rivés sur mes pieds pour me protéger du vent qui m’arrivait de face. Avec ma guitare sur le dos et ma capuche sur la tête je passais presque pour un asocial aux yeux des personnes que je croisais. Généralement personne ne me dérangeait, parfois même certaines femmes avec leurs enfants changeaient de trottoirs. Je n’étais pas méchant mais l’attitude renfermée que j’adoptais en marchant dans la rue montrait que je souhaitais que l’on me laisse tranquille. En temps normal, je ne remarquais même plus les personnes qui circulaient autour de moi. Ce soir c’était différent. J’étais plus attentif. Je cherchais quelque chose. Je la cherchais.

Finalement j’arrivais dans un cul de sac, sans comprendre comment mes pieds m’avaient conduis jusqu’ici. J’allais faire demi-tour quand un bris de glace attira mon attention. Je relevai la tête en cherchant l’origine de ce bruit quand des rires gras vinrent compléter cette impression de malaise qui ne m’avait plus quitté depuis la sortie du métro. Je m’avançai alors prudemment en suivant ces voix malsaines qui me parvenaient et c’est là que je retrouvai la jeune fille brune. Malheureusement, elle n’était pas seule. La meute de débiles était entrain de former un cercle autour d’elle qui, bien qu’apeurée, semblait garder son sang froid.

- T’es mignonne ma belle …

Mon sang se mit à battre violemment contre mes tempes à mesure qu’ils se rapprochaient tel des fauves affamés. Mes jambes avancèrent d’elles même et je gardai les yeux rivés sur son visage. Mon cœur cogna fort contre ma poitrine alors que le son timide de sa voix arriva jusqu’à moi.

- Ne me touchez pas !
- De quoi tu as peur ?
- Allez, laisse-toi faire !
- J’ai dis, ne me touchez pas !

Je sentis mon poing se lever avant même de comprendre ce que je m’apprêtai à faire. J’étais porté par une force invisible, me retenant de hurler la rage qui bouillonnait en moi. Mon geste finit par s’écraser violemment sur le premier visage que je trouvais provoquant la stupeur de ces autres bouchers qui ne m’avaient pas remarqué jusqu’ici. J’eus le temps d’apercevoir la jeune fille s’échapper du cercle, complètement déboussolée.

L’onde de choc se répercuta dans mon bras, puis mon épaule, mais je n’eus pas le temps d’analyser la douleur. Déjà quelqu'un m’attrapait par les épaules et me projetait au sol. Ma joue entra en contact avec le bitume froid et humide alors que ma mâchoire accusait le coup. Le choc résonna dans mon crane et je dus fermer les yeux une seconde pour calmer la secousse qui ébranlait mon esprit. Le temps que je me reprenne, une rafale de coups s’abattit contre mes cotes. Je ne pus rien faire de plus qu’attendre que cela s’arrête. On me maintenait fermement au sol. Quand je commençai à perdre conscience le bruit des coups et les voix se mêlaient dans une sorte de brouhaha à peine audible :

- Arrête ! Arrête ! Tu vas le tuer bordel !
- Putain il est mort !

« Je suis mort ? »

- Viens ! Il faut se tirer ! !

Leurs pieds, s’éloignant en courant, se fut la dernière chose que je distinguais avant de sombrer. Ma joue contre le sol froid et humide et les petits graviers qui me rentraient dans la peau, furent les dernières sensations que j’analysais.

Mon crâne bourdonnait comme si un gong venait de retentir dans mon esprit, les échos s’y répercutant de toutes parts. Puis le silence revint et tout devint noir …

« Enfin la paix »

***



- Oh mon dieu, il est mort ?
- Regarde, il ne bouge plus.
- Qu’est-ce qu’il a le monsieur maman ?
- Ne regarde pas ça. Viens, on rentre à la maison.
- Monsieur ? Monsieur, vous m’entendez ?

« J’entends à nouveau. Ces voix remplissent mon esprit. La douleur ressurgit. Mes tempes me brûlent.»

- Il a bougé !
- C’est bon, il reprend conscience. Reculez s’il-vous plait, laissez-le respirer.

« Je dois ouvrir les yeux, mais mes paupières son tellement lourdes. A trois alors … 1…,2…, 3 ! »

- Ma tête … me plaignis-je en maintenant directement le côté droit de mon crâne.
- Vous avez reçu un sacré coup. Vous vous souvenez de la façon dont c’est arrivé ?
- La fille …
- La fille ? Quelle fille ? Me demandait l’ambulancier au-dessus de moi.

J’essayai de me redresser, mais celui-ci m’en empêcha en posant sa main sur mon épaule pour que je m’allonge à nouveau. Je n’eus pas la force de résister d’avantage, tout mon corps chancelait.

- Où est la fille ?
- Nous n’avons vu personne monsieur, vous étiez seul quand nous vous avons trouvé. La personne qui nous a appelé n’était plus là.
Je réfléchissais un moment à tout ça. Était-ce possible que j’ai tout inventé ?
- Il faut que je rentre.
- On doit vous conduire à l’hôpital pour vérifier si vous n’avez pas de traumatisme crânien.

Cette fois je me remettais sur mes pieds sans que l’ambulancier puisse m’en empêcher.

- Non, pas l’hôpital. Je vais bien, je vais rentrer chez moi.
- Monsieur, vous devez voir un médecin ! Insista-t-il.
- Je vais bien je vous dis ! Mon père est médecin, en cas de problème j’irai le voir.
Le ton de ma voix était sans appel.
- Je veux juste rentrer chez moi. Finis-je, légèrement plus calme.
- Bien, mais c’est contre-indiqué dans votre état.
- Je ne porterais pas plainte rassurez-vous.
- Prenez au moins un taxi.
- Je préfère le métro. Merci.

Je ne lui laissai pas le temps d’argumenter d’avantage et m’éloignai lentement à travers les ruelles sombres de Seattle. Au passage, j’essayais d’éviter les regards indiscrets des curieux qui s’étaient arrêtés là en voyant les gyrophares, tous attirés comme des insectes vers la lumière.

« Je ne sais pas comment je m’en suis sorti, mais je l’ai fait … »

Le lendemain je n’allai pas en cours. Ma tête me faisait souffrir et la partie violacée de mon front était là pour me le rappeler. Je restais donc toute la journée au lit, dans mon appartement, en évitant scrupuleusement mon colocataire qui avait vaguement essayé de frapper à la porte de ma chambre dans la matinée, pensant sûrement que j’avais eu une panne de réveil.

Je regrettais déjà d’avoir joué les héros. Je ne comprenais toujours pas ce qui m’était passé par la tête. Je savais que j’avais bien fait cependant, qui sait ce qu’il serait arrivé à cette fille si je n’étais pas intervenu. Mais ensuite elle avait disparu, rendant toute cette histoire presque surréaliste. Qui laissait quelqu'un inconscient sur le sol après avoir appelé une ambulance ? Peut-être lui avais-je fait peur.

Toutes ces questions me hantèrent, mais le lendemain, je décidais de reprendre le cours de ma vie. Je devais oublier tout ça, ces dernières 24 heures avaient été bien trop étranges à mon goût. Bien trop d’incertitudes avaient envahi mon esprit d’un seul coup et tout ça à cause d’elle. Cette fille que je ne reverrai certainement plus. Ce comportement ne me ressemblait pas.

J’allai à la bibliothèque universitaire en fin de journée pour essayer de rattraper le retard que j’avais accumulé ces derniers jours. Je cherchais un ouvrage sur Saul Steinberg pour mon cours d’arts graphiques, perché sur un escabeau, quand je recevais un violent coup dans le dos qui eu pour effet de me faire perdre l’équilibre.

J’évitai la chute de justesse en m’accrochant désespérément aux étagères devant moi. Quand le bourdonnement de l’adrénaline qui résonnait encore dans ma tête s’estompa, je reconnu le rire hilare de Jasper, juste derrière moi.

- T’es malade ou quoi ? ! M’exclamai-je en passant la main dans mon dos pour calmer la douleur.

Jasper riait toujours quand je me baissais pour ramasser le livre qui venait de me percuter.

- Salut le flippé ! Me lançait-il.
- C’est moi le flippé ? !

Je me retournai pour lui faire face et quand mon colocataire découvrait mon visage, il perdait instantanément son sourire.

- Merde, ton visage ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ? !
- C’est rien, laisse tomber. Éludai-je en me concentrant sur le livre que je tenais.
- C’est rien ? ! T’as la tronche toute bleue !
- C’est bon d’accord, insistai-je plus fermement, je vais bien !
- Tu t’es battu ?
- J’ai pas spécialement envie d’en parler.

Je remarquais que des dizaines de questions le torturaient, mais il n’insista pas plus et retourna à ses occupations sur l’étagère d’en face.

- ça fait 48 heures que tu joues les fantômes, t’es au courant…
- Je sais, je suis désolé. J’avais envie de faire le vide. M’excusai-je.
- Et maintenant ça va mieux ?
- Tout va bien Jazz. Répondis-je sincèrement.
- Bien. Je demandais ça comme ça …

Il fit mine de continuer à farfouiller dans la bibliothèque comme s’il était passé à autre chose, mais je le connaissais assez pour savoir qu’il avait quelque chose en tête. Je soupirais et un sourire apparaissait au coin de mes lèvres tant son attitude était prévisible.

- Vas-y, crache le morceau ! 
- Je fais un show ce soir avec le groupe. Enchaîna-t-il sans la moindre hésitation. Viens !
- Je sais pas …
- Allez mon vieux, bouges-toi, y’aura des filles dans tous les coins et un bar à volonté si tu viens avec nous.
- Et depuis quand, le grand Jasper Whitlock, si altruiste et si sage, premier de sa promotion, se soucie de ce genre de détails futils ? Plaisantai-je.
- Le Jasper studieux quitte mon corps quand je rentre sur scène tu le sais bien.
- Tu es un paradoxe à toi tout seul, tu le sais ça ?
- Hey, c’est écrit nulle part qu’une future rock star n’a pas en plus le droit de faire pâlir l’intelligence d’Einstein !
- Là tu marques un point …
- Ça veut dire que tu viens ?
Je lui lançais un regard et son sourire fourbe annonçait déjà ma défaite.
- Tu vas voir, on va mettre le feu !
- Ouais, ouais … Soufflai-je simplement en reprenant mes recherches.

Le reste de la journée se passait normalement, j’assistai à mes cours aussi sérieusement que je le pouvais vu le mal de crâne que je traînais depuis l’accident. Mais en réalité, la chose qui rendait ma concentration plus difficile encore que mon état physique, c’était l’image de cette fille. Quoi que je fasse et quelque soit la volonté que je mettais à l’ignorer, elle était toujours là. Je revoyais ses yeux chocolats, sa peau blanche si parfaite, j’entendais le son de sa voix.

Trop de questions étaient restées en suspend : Pourquoi est-elle partie ? Comment s’appelait-elle ? Où vivait-elle ? Je n’attendais qu’une seule chose, que cette journée prennent fin pour que je puisse retourner jouer dans le métro. La possibilité de la croiser de nouveau là-bas me rendait nerveux. Qu’allais-je bien pouvoir lui dire ?

« - Salut, c’est moi le pauvre type qui s’est fait tabasser pour toi, j’espère que ça n’a pas trop perturbé ta petite vie. PS : Merci quand même pour l’ambulance ! »

Je ne savais pas si je devais être en colère contre elle pour être partie comme une voleuse ou reconnaissant qu’elle ait appelé une ambulance. Je ne savais même pas pourquoi toute cette histoire me touchait autant.

Je poussai un long soupir d’exaspération devant ce problème qui n’aurait pas dû en être un, essayant de couper court à mes réflexions.

- Monsieur Cullen, m’interpellait le professeur, vous le dites si l’on vous dérange !
- Pardon ? Demandai-je en relevant la tête de mon ordinateur portable.
Je m’apercevais alors que tous les regards de l’amphi étaient tournés vers moi.
- Pardon … m’excusai-je d’une voix terne alors qu’il reprenait déjà son cours.
Une fille devant moi continuait à me dévisager.
- Tu veux un autographe? Lui lançai-je, légèrement désagréable.
Ça lui suffit à passer à autre chose.

Puis enfin j’arrivai dans le métro, à ma station de prédilection : Spadina. Ne me demandez pas pourquoi celle-là, je n’en sais rien. C’était une habitude que j’avais prise avec le temps. Même si j’étais conscient qu’il n’était que 17h, je parcourrai le quai du regard, un nœud à l’estomac. C’était stupide, elle n’arrivait jamais avant 18h30, mais je ne pouvais m’en empêcher.

[3/ Great Lake Swimmers – Moving Pictures Silent Films]

Je prenais place sur le sol, adossé contre le mur froid et commençais à jouer cette mélodie que j’avais dans la tête depuis presque trois jours. Lente, reposante, calme … Enfin je respirais.

Seul le son mélodieux de mon instrument avait pour effet de me calmer instantanément, peut-être parce que ma mère avait pour habitude de nous jouer quelques notes pour nous endormir. Je sentais déjà mes épaules se relâcher, la pression au creux de ma poitrine s’estompait à mesure que la mélodie évoluait. Il y avait quelque chose de particulier dans cet air, quelque chose d’immuable comme s’il était déjà inscrit en moi depuis longtemps mais que je n’avais pas encore la clé pour le décoder entièrement.

Sans y penser, je m’élançai dans une nouvelle série de notes, des notes qui jusqu’ici n’étaient pas apparues dans la mélodie, mais je la laissais filer, s’échapper, se libérer, elle prenait possession de moi et je devenais son instrument. Je me laissai aller et, petit à petit, mes yeux se fermèrent comme pour occulter le bruit de la ville autour de moi. A peine une seconde après que les images se soient éteintes devant mes yeux, elle m’apparaissait. Elle. Ses yeux, son sourire timide, ses longs cheveux bruns …

J’arrêtai de jouer instantanément et ouvrais rapidement les yeux pour retrouver la réalité. Cette fille s’insufflait dans les moindres recoins de mon esprit, même dans les moments les plus paisibles. Je ne pouvais pas dire que ces apparitions m’étaient désagréables, elles étaient juste trop intrusives, trop présentes. J’avais bon espoir cependant qu’une fois l’avoir revue ce soir, elle disparaîtrait pour de bon et je retrouverais la paix.

Malheureusement pour moi, elle ne vint pas. Je restai sur le quai plus longtemps que d’habitude dans l’espoir qu’elle viendrait malgré tout, mais là encore ce fut peine perdue.

Finalement je décidais de partir. J’étais en colère contre moi-même sur le chemin du retour. Je ne comprenais pas cette puissante déception qui me tiraillait les entrailles. Cette histoire tournait à l’obsession, c’était insensé. Ce genre de chose n’arrivait pas généralement. Comment une inconnue pouvait avoir une telle emprise sur moi, c’était carrément masochiste !

J’avais marché plus longtemps que d’ordinaire ce soir là et, à ma grande surprise, ce n’était pas devant mon appartement que je me trouvais. Mes pieds m’avaient conduit d’eux même devant chez mon frère et ma belle-sœur. Je me retrouvais devant leur immeuble, un peu hébété. J’aurais pu tourner les talons et rentrer chez moi, mais en y réfléchissant, je n’avais pas envie de me retrouver seul ce soir. Une bonne soirée en famille m’aiderait peut-être à me remettre sur les rails. Si ça se trouve, mon état n’avait rien à voir avec cette fille, j’avais peut-être simplement sous-estimé la gravité des coups que j’avais reçu sur le crâne. Les conseils de l’ambulancier ne me paraissaient plus aussi stupides à présent.

Je montai les quelques marches qui me séparaient de la porte et frappai timidement. J’entendais déjà Bazooka, le jeune rottweiler de Rosalie aboyer à travers la porte. Ses grognements sourds auraient fait fuir n’importe quel témoin de Jéhovah ou voleur en puissance, mais quand on connaissait cette adorable bête de 45 kilos, on ne pouvait que sourire. C’était le chien le plus gentil du monde et Rosalie le traitait comme un fils, au grand désarroi de mon frère.

« - Chutt ! Zooka, couché ! », Entendis-je à travers la porte.

Une plainte digne d’un petit chiot capricieux plus tard, Rosalie m’ouvrait la porte. En une fraction de seconde, le visage de ma belle-sœur passait de la joie à la terreur.

« Et merde … », pensais-je en me rappelant l’état de mon visage.

- C’est rien Rose, m’empressai-je de dire en levant les mains devant moi pour la rassurer, je vais bien, c’est juste quelques bleus ok ?
- Oh mon dieu Edward, s’exclamait-elle en me tirant par la chemise à l’intérieur de la maison, qu’est-ce que t’est arrivé ? !
- Je t’assure c’est rien du tout, j’ai eu un petit accrochage. Ça va.
- Un accrochage ? ! Répétait-elle septique.
- Tout va bien. Répétai-je, me voulant rassurant.

Bazooka vint détendre l’atmosphère en passant entre mes jambes, manquant de me faire tomber, pour que je lui gratte l’arrière-train. Je m'accroupis devant l’animal en lui frottant les babines dans tous les sens, évitant les coups de langue qu’il essayait de me donner.

- Salut mon beau, j’essayai de ne pas tomber sur mes fesses devant l’enthousiasme de la masse qui voulait me sauter dessus, ça va mon gros ? Tu peux dire à ta maman qu’elle peut respirer et que tonton Edward va très bien ! !

Je parlais de la façon qui rendait fous tous les chiens, la façon : « On va promener ! », disait Emmett, si bien que Bazooka se rua sur sa maîtresse tout content, pleurnichant comme un bébé. En me relevant, je savais que j’avais gagné, Rosalie était déjà toute attendrie par ce spectacle.

- Tu vois, lançai-je avec un petit sourire, il sait que je vais bien lui.
- Ça c’était bas ! Me répondit-elle avec un regard noir qui cachait mal son état de faiblesse.
- Mais non ! Viens ici.

Je l’embrassais sur la joue et m’avançai vers le salon alors que Rosalie me suivait en soupirant.

- Alors tu vas te décider à me dire ce qui t’amènes ?

Je me laissais lourdement tomber sur le canapé et croisant mes jambes sur la table.

- Tu me manquais ! Lançai-je avec mon plus beau sourire.
- Bien essayé ! Rétorquait ma belle-sœur et repoussant rapidement mes jambes de sa table basse.

Elle s’asseyait en face de moi et baissait le son de la télé. Son regard insistant m’invitait à engager la conversation.

- Je passais dans le coin, commençai-je en retrouvant mon sérieux, j’ai eu envie de passer dire bonjour, ça faisait longtemps.
- Tu es sûr que ça va ?
- Je vais bien Rosalie, je ne sens plus rien du tout.
- Je ne parlais pas de ton état physique.

Je me taisais un instant. D’aussi loin que je me souvienne, Rose avait toujours eu cette faculté à me percer à jour.

- On dirait que quelque chose te préoccupe.
Je soupirais en me contentant de fixer un point dans le vide.
- Je dois être fatigué.
- Bah voyons ! Et moi je suis Elisabeth II !
- C’est pas vrai ? ! M’exclamai-je en jouant les idiots.
- Edward, je suis sérieuse, riait-elle. Tu sais que tu peux me parler si tu veux …
- Je m’en souviendrais. Soufflais-je en lui rendant son sourire. Pour le moment j’ai juste envie de passer une soirée agréable avec ma famille. Il serait possible de me faire inviter à dîner chez ma belle-sœur préférée ?
Les aboiements de Bazooka résonnèrent dans l’entrée.
- Je suis ta seule belle-sœur abruti !
Elle se levait et me donnait une claque sur la tête.
- Tu es ici chez toi, tu le sais ! Chuchota-t-elle dans mon oreille avant de se diriger vers la porte qui s’ouvrait au même moment.

Je la regardai s’éloigner dans le couloir, reposant mes jambes sur la table sans un bruit.

- Même pas en rêve Cullen ! Criait Rosalie, assez fort pour que je retire mes pieds immédiatement.
- C’est pas vrai, tu as des yeux derrière la tête ou quoi ! ?
- Chérie ! Papa est rentré ! Lançait cette grosse voix rauque que je connaissais bien.
Les aboiements du chien s’intensifièrent encore.
- RRRaaa ! ZOOKA STOP !
- Hey ! Soit gentil avec lui, il est content de te voir ! Grondait Rosalie.
- Mais c’est un costume à 300 $ ! Il va me baver dessus !
- Dis pas n’importe quoi Emmett … Tu baves plus que lui en dormant !
- Mais …

Je riais intérieurement en voyant le chien venir vers moi. C’était toujours pareil avec eux. Rosalie jouait toujours les médiateurs entre son chien et son homme. Il y avait presque une compétition entre ces deux là, comme si l’un pouvait se faire aimer plus de Rose que l’autre. Bizarrement, c’était souvent le chien qui gagnait.

Je caressais doucement la tête de l’animal et tendait l’oreille. C’était un peu trop calme et il me semblait entendre des sortes de petits chuchotements provenant du couloir. Finalement, Emmett entra lentement dans le salon en me dévisageant comme si j’allais m’en prendre une.

Je le regardai droit dans les yeux, attendant patiemment qu’il arrête de jouer les figures paternelles avec moi, mais que pouvais-je y faire ? C’était mon grand frère après tout.

- Qu’est-ce que t’as foutu ? Me demandait-il calmement en se baissant à mon niveau.

Rosalie resta en retrait adossée au mur qui séparait le couloir du salon, les bras croisés.

- Rien.
- Bien.

« - Bien ? »

Emmett n’abandonnait jamais aussi facilement. Ça sentait le piège. Rosalie lui lança un regard interrogateur et Emmett, les mains enfoncées dans son joli costume, m’adressa un grand sourire.

« - ça sent pas bon du tout … »

- J’espère que tu as faim frangin ?
- Une faim de loup. Répondis-je un peu méfiant.
- Parfait !
Il s’assit sur le fauteuil en face de moi.
- Parce que tu ne mangeras rien tant que tu ne te seras pas expliqué un minimum.

« - Bah le voilà le piège ! »

Je rejetai la tête en arrière avant de jeter un regard désespéré à Rosalie.

- Hey ne me regarde pas ! Tu croyais vraiment qu’il allait laisser passer ça ?
- Humm en plus Rose nous fait ses lasagnes, tu sais … celles que tu aimes tant ! Me torturait mon frère. Ça ne va pas être trop dur pour toi de nous regarder manger tout ça ?
- Ça va ! ça va ! Craquai-je. Je me suis ridiculisé, ça te va ? !
- Là tu m’intéresses !
Emmett se redressa sur son fauteuil.
- Continue.

Je me passais la main sur le visage et Rosalie allait prendre place à côté de mon frère. Je lui soufflais un « Traître » du bout des lèvres et, le pire, c’est qu’elle se retenait de ne pas rire.

- Je jouais dans le métro …
- Je t’avais dit qu’un jour tu finirais par te faire casser la figure en trainant là bas ! Me coupait Rosalie.
- Laisse-moi finir. Et pour ta gouverne, ça ne s’est pas passé à Spadina !

Elle me tirait la langue, telle une enfant. C’est pour ce genre de petite chose que je considérais Rosalie comme ma sœur.

- Donc, poursuivis-je, j’étais dans le métro quand cette … fille (directement son image s’imposait à moi mais je la chassais aussitôt), est arrivée …
- Hooouu … Siffla bêtement mon frère qui reçu un coup dans les côtes de la part de Rose.
- Aïeuhhh ! ! Jura-t-il.
Pour ça aussi je l’adorais.
- On a parlé vite fait et elle est partit. Il était tard. Une bande de débiles est arrivée et ils ont commencé à la bousculer. Je me suis interposé et ils m’ont mis une raclée, voilà fin de l’histoire.

Je passais volontairement sur tout l’épisode du pressentiment presque biblique qui m’avait poussé à la suivre. Même à moi ça me semblait ridicule avec le recul. « Lève toi et marche Edward ! Lève toi et marche », j’entendais déjà les rires d’Emmett …

- Qui aurait cru que mon petit frère pouvait être aussi chevaleresque !
- La prochaine fois, essais de ne pas t’attaquer à une meute. Me disait gentiment Rosalie.
- Ouais, j’essaierai.
- Allez c’est bon, tu as gagné tes lasagnes. Je vais commencer à préparer tout ça.

En s’éloignant dans la cuisine, Rose passait gentiment une main dans mes cheveux.

- Je ne suis plus un petit garçon tu sais.
- Pour moi tu en seras toujours un ! Répondait-elle le dos tourné.
Emmett n’avait pas bougé lui. Il me fixait avec un petit sourire en coin.
- Quoi ?
- Elle est mignonne ?
- Commence pas.
- Oh allez, maintenant qu’on est entre homme, tu peux me le dire. Elle te plaisait cette fille.
- Je l’aurai fait pour n’importe qui.
- Oui, mais elle, elle était mignonne. Avoue.

Je le dévisageais un moment, sachant très bien qu’il ne lâcherait jamais le morceau aussi facilement. Finalement je cédais et mon frère comprenait d’un seul regard.

- Je le savais ! S’exclamait-il. Vas-y, décris-là-moi. Comment elle est ?

Comment était-elle ? Obsédante, j’imagine que c’était le mot juste.

- Petite.
- La bonne taille c’est quand les pieds touchent le sol.
- Brunette. Les yeux marrons. Les lèvres pleines …
- Comment elle s’appelle ?
- J’en sais rien du tout. Riais-je amèrement.
- Quoi ? T’en as pas profité pour faire la conversation ? Sauver les demoiselles en détresse c’est une bonne technique de drague tu sais.
- Qu’est-ce que t’en sais toi ? Ça t’es déjà arrivé peut-être ?
- Je joue au preux chevalier dans la chambre avec Rosie des fois.
- Oh je t’en prie !
Je fermais les yeux pour chasser cette image de ma tête.
- Épargne-moi les détails Emmett.
- Ça va, joue pas les prudes ! Qu’est-ce qu’elle t’a dit cette belle inconnue ?
- Rien, elle est partie.
- Partie ?
- Oui, partie. Comme volatilisée, POUF, plus là … M’énervai-je.
- Humm …
- Tu l’as dit. Soufflai-je dépité.
- Tu es sûr que tu ne lui as pas mis un coup ou deux dans la bagarre ?
- Emmett !
Je me levai d’un bon.
- Quoi ? ! S’exclamait-il comme si ma réaction était injustifiée.
J’allais rejoindre Rosalie dans la cuisine
- Faut te faire soigner. Y'a un truc qui tourne pas rond chez toi, je te jure ! Lui lançai-je alors qu’il riait aux éclats sur le canapé.

Après le dîner j’allais rejoindre Jasper dans un bar du campus. Je faisais d’abord un détour par chez moi pour déposer les restes de lasagne que Rosalie avait emballé pour moi et Jasper. En l’absence d’Esmé, Rosalie jouait toujours les mères poules avec moi et je ne m’en plaignais pas.

- Edward ! T’es venu ! Je savais que tu viendrais ! S’exclamait mon colocataire à l’entrée du bar, son bras autour de mes épaules.
- Salut les gars. Dis-je en saluant les autres membres du groupe.
- Prêt pour une soirée de folie ? ! Me demandait Jasper avec son large sourire.
- On dirait bien. Lui souris-je.

Il m’attrapa par les épaules et fit rouler son front sur le mien avant de me taper dans la main en hurlant déjà le cri de la victoire.

Je connaissais Jasper depuis l’enfance et je l’avais vu grandir avec moi. Il était deux parties d’une seule et même personne. Une délurée et par certain côté, complètement irresponsable - et l’autre posée, très studieuse et réfléchie. Encore une fois, le paradoxe ultime.

C’était quelqu'un sur qui je pouvais compter. C’était mon meilleur ami.

En définitif, ce que je prévoyai comme un « bref passage » pour voir Jasper jouer avec son groupe avait tourné en « nuit blanche bien arrosée ». Nous étions sortis de la salle aux aurores, une belle journée s’annonçait. Suivant une tradition qui perdurait depuis que Jasper et moi avions commencés à sortir à Seattle, nous étions allés marcher sur les docks pour regarder le levé du soleil avec notre café. Je savais que j’allais passer le reste de mon samedi à dormir pour rattraper mon manque de sommeil.

Cette nuit m’avait changé les idées et j’étais fière d’admettre que je n’avais plus pensé à l’accident et à la mystérieuse petite brune disparue depuis plusieurs heures.

- Crois-moi ou pas, mais je tiendrais encore 24 heures comme ça ! Me lançait Jazz alors que nous regagnions notre appartement.
- Tu dis ça à chaque fois et je te retrouve endormis sur le canapé entrain de baver sur ta manette de Playstation. Riais-je en poussant la porte de notre appartement.

Dès que mes yeux accrochèrent le vieux divan de notre salon, je restais bouche bée.

- Tu dis ça parce que tu n’as pas ma force de récup …

[4/ Fall Away – The Fray]

Avant de pouvoir finir sa phrase, Jasper me percutait alors que j’étais toujours figé dans l’entrée.

- Tu te décides à rentrer ou quoi ? !
- Alice ?

Ma sœur était assise devant moi. Elle m’avait souris et adressé un timide geste de la main en guise de salut. Je ne l’avais pas revue depuis un an maintenant.

- Salut. Me lançait-elle timidement.
- Alice ? ! Répétais-je plus fort.

Son sourire m’éblouit et une fois la stupeur passée, j’avançai vers elle pour la serrer contre moi. Elle s’était levée en même temps et m’avait immédiatement accueillie. Après une minute je reculais pour l’observer, comme pour vérifier qu’elle était bien là, avec moi.

- Qu’est-ce que tu fais ici ?
- Je suis en vacances. Annonçait-elle fièrement.
- On a des vacances dans le mannequinat ?
- Disons que c’est un métier légèrement plus fatiguant que l’on peux l'imaginer.
- J’imagine, tous ces flashs ça doit être éreintant ! La taquinai-je.
- Commence pas tu veux ! Me menaçait-elle en me frappant l’épaule.
Pas de doute, c’était bien ma sœur.
- Je suis tellement content de te voir. Pourquoi tu ne m’as pas prévenu ? Je serais venu te chercher !
- Je voulais vous faire la surprise. Sourit-elle.
- C’est réussi !

Je me détachais encore un peu plus pour l’observer, elle n’avait pas trop changé. Elle était toujours aussi belle et la lueur de malice dans ses yeux était encore présente. Ses cheveux étaient plus longs cependant. Je me souvenais encore de la jeune adolescente aux cheveux courts ébouriffés avec qui je jouais au base-ball dans le jardin, il y a encore pas si longtemps. Je remarquais également les cernes qu’elle avait sous les yeux et elle avait beaucoup maigri, déjà qu’elle était fine avant de commencer à travailler.

Elle avait peut-être raison, son travail devait être plus prenant que ce que j’imaginai jusqu’alors.

- Combien de temps tu restes à Seattle ?
- Pour un temps indéfini !

Je la reprenai contre moi alors que son rire cristallin venait scintiller à mes oreilles.

- Emmett et Rosalie vont sauter de joie ! On devrait aller voir papa et maman aussi et …
- Edward stop ! Rit-elle encore devant mon enthousiasme débordant. Je ne vais nulle part ok ? Laisse-moi respirer 5 minutes !
- Pardon mais, tu m’as tellement manqué !
- Tu m’as manqué aussi.

Nous nous lancions dans de nouvelles embrassades quand Jazz nous rappelait discrètement sa présence en se raclant la gorge. Je libérai Alice qui allait tout droit dans les bras de mon colocataire. Celui-ci fit d’abord mine de l’accueillir à bras ouverts avant de se contenter de lui prendre les mains pour l’observer, perplexe.

- Quoi ? Demanda-t-elle surprise.
- Qui êtes-vous ? Et qu’avez-vous fait de la petite peste qui me mettait des limaces dans le caleçon quand j’avais 15 ans ? !
- Elle n’a plus 15 ans justement et elle, elle a évolué au moins ! Rétorqua ma sœur.
- Tu es là depuis deux minutes et tu me juges déjà !
- Heureuse de te voir Jazz. Souffla-t-elle, le sourire aux lèvres.
- Ravie aussi mademoiselle Cullen!
Cette fois ils se serrèrent l’un contre l’autre.
- Ton frère me fait vivre un enfer quotidien tu sais.
- Hey ! M’indignai-je. Je suis là je te signale !
- Oh pauvre petit, se moqua-t-elle en farfouillant dans la tignasse de Jasper, tu veux que j’appelle ta maman ?

Elle éclata de rire alors que Jazz la repoussait gentiment d’une main en plein sur le visage. Puis une question quasiment existentielle m'apparus :

– Comment es-tu rentrée ici au fait ?
– Oh, j’ai demandé le double des clés à maman le jour où tu as emménagé gros bêta ! Juste au cas où… M’informa Alice, l’air de rien.
- Tu quoi ? !
- Bah oui quoi, c’est logique !
- Et en quoi ça serait logique, j’aimerai bien que tu m’expliques.
- Bah sinon t’aurais pu un jour refuser de m’ouvrir la porte !
Ensuite elle me lançait un « Pfff », comme si j’étais un parfait idiot.
- Pourquoi je refuserai ?
- Je sais pas moi, imagine que t’es avec une fille ou tout nu, ou pire ! Tout nu avec une fille !
- Ça, ça s’appelle l’intimité Alice !
- Oh je t’en prie ! On a pris nos douches ensemble jusqu’au jour de nos premiers poils pubiens !
- Pardon ? ! S’exclama Jazz soudainement très intéressé.
- Tais-toi toi ! Lançai-je rapidement alors que, même sans le regarder, je savais qu’il se retenait d'éclater de rire.
- C’est pas tes ébats sexuels qui vont m’empêcher de rendre visite à mon frère !
- Quels ébats ? Pouffa Jasper au bord des larmes.
- Tu es là depuis 10 minutes et tu me tapes déjà sur les nerfs !
- Je sais ! Sourit-elle fièrement. Avoue que ça t’a manqué ?
Je soupirais et essayant de ne pas lui donner raison.
- Allez … Admet-le Edward.

Mais comment résister ? C’était Alice, elle avait toujours eu le pouvoir de manipuler tout le monde avec ses grands yeux et sa bouille d’ange.

- Tu m’as manqué. Soufflai-je simplement.
- Je le savais !

Elle s’agrippa à mon cou et déposa un rapide baiser sur ma joue avant de filer vers la sortie.

- Où tu vas comme ça ?
- Chez Emmett ! Salut ! Dîner au resto, tous ensemble ce soir ! Toi aussi Jazz !
- Oui m’dame. Répondit-il en se mettant au garde à vous.

Puis elle partait aussi vite quelle était arrivée. Ma sœur me faisait encore et toujours l’effet d’une tornade vivante. Ça me rassurait dans un sens que sa profession et toutes ces paillettes ne l’aient pas changé.

Je restai songeur un instant en fixant toujours la porte par laquelle la tornade Alice Cullen venait de s’échapper et décidai d’aller me reposer. Cette fois ci, j’allais pouvoir dormir !

Je commençais à retirer mes chaussures quand Jasper apparu dans l’encadrement de ma porte.

- Qu’est-ce qu’il y a ?
- C’est wooa … elle a changé ! Plus d’appareil dentaire à ce que je vois !
- C’est Wooa ? Répétai-je. Tu veux pas être un peu plus explicite par hasard ?
- Alice. Me lança-t-il d’un haussement de sourcil se voulant révélateur.
- J’aurais dû faire Jasper en deuxième langue …
- Elle est sexy … Finit-il par m’avouer.
- Hey ! C’est ma sœur, pas touche !
- Hum hum …

Puis il s’éloignait, les mains dans les poches, avec ce petit sourire qui m’agaçait particulièrement. Celui qui voulait dire « cause toujours Edward ».

- Je suis sérieux Jazz ! Lançai-je en direction du couloir. Fais gaffe ! C’est ma petite sœur.
- Vous êtes jumeaux. Me répondait-il du fond du couloir.
- Je … Et ben... Même ! Rétorquai-je, ne trouvant rien de mieux à dire.

Je l’entendais rire avant qu’il ne s’enferme dans sa chambre. Un instant, le stress m’envahis : Jasper et ma sœur … L’image de ce couple me fit grimacer et un frisson d’effroi me traversait.

« - Non… », pensai-je, « - Il n’a aucune chance … ».

C’était ce que j’espérais en tout cas. Personne ne serait jamais assez bien pour ma sœur à mes yeux, même pas Jazz. J’étais sûrement un peu trop protecteur avec elle. Pour ma défense, Emmett l’était encore plus que moi. Mon père nous avait toujours apprit à veiller sur elle et peut-être que nous avions un peu de mal à la voir grandir.

***

La semaine suivante commença comme toutes les autres : j’avais envie qu’elle s’achève dès le lundi matin.

J’avais passé le reste du week-end en famille, avec Alice surtout. Malgré l’éloignement, elle restait la seule personne au monde avec qui je me sentais libre de parler de tout. C’était facile. J’étais vraiment heureux qu’elle soit en ville. Pour le moment, elle ne parlait pas de repartir même si nous savions tous que cela ne pourrait pas durer éternellement. Emmett et Rosalie lui avaient proposé de rester chez eux, ce qu’Alice avait accepté de bon cœur.

En fin de matinée, j’allais au restaurant universitaire avec Jasper qui me parlait du prochain concert qu’il avait en préparation et qui tombait, malheureusement, en plein pendant les examens. Je ne l’écoutais que d’une oreille discrète, concentré sur ce que j’allais manger, quand il me donnait un léger coup d’épaule.

- Je devrais l’inviter, la pauvre fille déjeune seule depuis le début le l’année.

Quand je levai la tête de mon plateau pour regarder la personne qu’il me désignait, mon cœur manquait un battement. C’était elle, la jeune fille du métro.

Celle à qui j’évitai de penser, celle que je n’avais plus revu depuis l’accident, celle que je pensais ne plus revoir, celle qui avait disparue …

[5/ In My Place (Instrumental) – Coldplay ]

Elle s’était installée à une table isolée avec un roman qu’elle avait dû lire plus d’une vingtaine de fois vu l’état de la couverture. Elle n’avait pas pris de plateau préférant le paquet de chip entamé qu’elle sortait de son sac, à la nourriture de la cafétéria.

- Edward ? M’interpellait Jazz. Ça va ?
- Je connais cette fille. Répondis-je simplement en ne la quittant pas des yeux, comme si elle pouvait disparaître à tout instant.
- Et c’est comme ça que tu traites tes amies ? Tu la laisses manger seule tous les jours ?
- Elle a des amis et ce n’est pas une amie, je la connais à peine (c’était peu dire !). Elle prend souvent la rame dans laquelle je joue.
- Elle est mignonne. Fit-il remarquer.
Je ne répondais pas. Pour moi c’était d’une telle évidence.
- Va la voir !
- Pour lui dire quoi ?
- Hum je sais pas … « bonjour », tu peux tenter mais je te garanti rien …
Je lui lançais un regard noir.
- Allez, vas-y, t’en meurt d’envie ça se voit.
- C’est une de ces choses que je regrette déjà …

Jasper me poussait en avant en ricanant. Même si j’avais l’estomac noué, quelque chose d’inexplicable, cette même force qui m’avait poussé à me lever ce soir là dans le métro, me poussait à aller vers elle aujourd’hui. Après tout, après les coups que j’avais reçu pour l’aider, j’avais au moins le droit de connaître son prénom.

Pourtant, arrivé devant sa table, j’aurais aimé ne jamais avoir croisé son chemin. Une odeur acidulée et envoûtante de frésia envahie mes narines. Ce parfum pénétra tout mon être, j’étais comme paralysé. C’était sûrement l’odeur de son shampoing ou d’une crème qu’elle devait utiliser, mais pour moi c’était le parfum le plus sensuel qu’il n’avait été donné de sentir. Tout chez elle semblait m’attirer. C’était plus que perturbant, je ne connaissais rien d’elle.

En réalité, j’aurai préféré ne jamais l’avoir retrouvée, moi qui avais enfin réussi à chasser cet incident de mon esprit. Je ne comprenais pas ce qu’il y avait chez elle qui m’obligeait à rester là, planté comme un crétin devant cette table alors qu’elle ne m’avait même pas encore remarqué. Elle ne se souvenait certainement pas de moi.

J’aurais préféré pouvoir la détester.

- Je peux te déranger un moment ? Soufflai-je en m’appuyant sur le dossier de la chaise devant moi.

Quand elle levait les yeux vers moi, je retrouvais la profondeur chocolat de son regard et les flashs de l’autre nuit en furent ravivés, ainsi que toutes ces sensations étranges qui m’avaient alors submergées.

J’avalais difficilement ma salive et esquissais un sourire pour ne pas passer pour un abruti fini devant cette personne qui m’était encore inconnue.

- C’est toi … Souffla-t-elle, visiblement surprise.
Je me figeais un instant, surprit.
- Tu te souviens alors…
- Je … oui … hum.

Elle baissait les yeux mal à l’aise et soupirait nerveusement. Finalement, je la vis faire un effort pour me regarder en face et me parler à nouveau. Je ne savais pas vraiment comment interpréter ce malaise.

- Ça va ? Me demandait-elle, concernée et inquiète.
- Ça va, juste quelques hématomes … répondis-je le plus naturellement possible, même si ma voix se fit plus sombre qu’à la normale.
- Je suis tellement navrée, s’excusa-t-elle nerveusement, j’ai paniqué quand je t’ai vu étendu sur le sol. J’ai eu peur qu’ils reviennent pour moi alors j’ai appelé l’ambulance et je suis partie.

Elle avait débité tout ça à une telle vitesse que je me retrouvai à vouloir la soulager de ce poids alors que c’était moi qui avais tout pris en pleine figure.

- Je m’en suis voulue… mais je n’avais aucun moyen de te retrouver et j’ai perdu ma carte de métro alors je n’ai pas pu y retourner et …
Elle reprenait ce rythme affolant de parole, alors je décidais de l’interrompre.
- Après tout le mal que je me suis donné pour toi, tu continues à rentrer à pied ? Plaisantai-je.
- Pardon … Souffla-t-elle, penaude. Je ne sais pas quoi faire pour me racheter. Je pensais ne jamais te revoir …
Elle semblait sincèrement touchée par les évènements.
- Si tu commençais par me donner ton prénom.

Elle soupira longuement comme si, en la coupant, je lui avais permi de reprendre son souffle. Je vis ses épaules s’affaisser et sa respiration se calma un peu.

- Bella. M’informa-t-elle avec un sourire timide.

« Bella », son prénom se répercuta en moi. Je lui souris. Enfin une information.

- Je suis Edward. Lui dis-je en tendant la main, qu’elle serra doucement.

Sa peau était douce. Il me fallut bien une seconde pour arrêter de me focaliser sur cette sensation.

- Ne t’inquiète pas, je vais bien. Merci d’avoir appelé l’ambulance.
- C’est la moindre des choses.

Elle baissait les yeux à nouveau, me privant de ce spectacle captivant par la même occasion. Alors je disais la première chose qui me passait par la tête pour retrouver ce contact entre nous.

- Tu pourrais te racheter en acceptant une invitation à dîner.

Je regrettais immédiatement ma proposition quand je lus la méfiance dans ses yeux.

- Je sais qu’on ne se connaît pas, enchaînai-je, mais je t’ai quand même évité de gros problèmes alors je trouve qu’un dîner c’est pas grand chose en comparaison.
- C’est pour ça que tu m’as aidé en premier lieu ? Un dîner ? C’est ta technique de drague ?
- Non ! La rassurai-je rapidement en comprenant l’ambiguïté de ma demande. Rassure-toi, c’est la première fois que je joue les héros …
Elle paraissait encore plus sur ses gardes.
- Et sûrement la dernière vue ma tête. Ajoutai-je.

Cette fois un sourire apparu au coin de ses lèvres, entraînant le mien par la même occasion. L’atmosphère s’apaisait un peu.

- Si j’accepte, nous sommes quittes ?
- Je suppose que c’est une façon de voir les choses. Nous serons quittes, à quelques hématomes près.
- Tu comptes continuer à me culpabiliser comme ça pendant tout le repas ? Me lançait Bella, légèrement agacée.
- Non, c’est promis. Souris-je. Je veux juste connaître la personne qui m’a fait faire une bonne action complément désintéressée.
- C’est bien, tu iras au paradis. Dit-elle avec une pointe de sarcasme.
- Alors ?
- Juste un dîner pas vrai ?
- Juste un dîner. Lui assurai-je, posant la main droite sur mon cœur d’une façon très théâtrale.
Ce sourire perça ses lèvres à nouveau.
- Je suppose que je peux faire un effort … Céda-t-elle enfin.
- Tiens – Je griffonnais rapidement mon numéro de téléphone sur un coin de feuille que j’arrachais d’un classeur – Appelle-moi quand tu seras disponible.
- D’accord.

Je la fixais presque religieusement alors qu’elle lisait le papier que je lui avais tendu. Quand elle croisait de nouveau mon regard, j’y vis une pointe d’interrogation. Pas étonnant, je la fixais comme si elle était une espèce inconnue sur terre, sans un mot (comme un idiot fini …).

Je devais partir, mais me détourner d’elle m’était difficile. Une fois encore, je m’agaçais prodigieusement !

- Bon et bien … j’attends ton appel … Dis-je en reculant lentement.

Elle acquiesçait et je partais. Je reprenais le cours de ma journée, sachant déjà pertinemment que mon portable ne me quitterait pas de la journée.

« - Stupide ! », Soupirais-je.